Les paysages d’Alberto Reguera (2008-2010)
Par RAFAEL GIL SALINAS (Université de Valence), texte du catalogue d’Alberto Reguera à l’institut Cervantes de Bruxelles 2011.
Nous savons depuis longtemps que l’art contemporain ne se résume pas à une addition de mouvements et que le concept même de « style » est, depuis quelques décennies, devenu anachronique. Opérer un classement géographique, aux vue de la portée actuelle de l’art dans le monde, n’est plus viable. Il est tout aussi insatisfaisant de vouloir classer l’art par matière, genre ou thème.
Cependant, aujourd’hui encore, ce qui conduisit un groupe d’artistes du début du XXè siècle à éliminer de leurs œuvres toute marque de représentation de la nature, nous laisse quelque peu perplexes. L’abstraction surgit en réponse aux théories de la relativité qui démontrait l’existence de facteurs difficiles à appréhender par les sentiments humains. L’art non objectif est ainsi né de la concrétisation d’une recherche de formes invariables disponibles dans la nature et dans la conscience humaine.
Il est certain que l’abstraction n’est qu’une perspective parmi d’autres. C’est un mouvement détaché de la réalité observable, un tout qui ne renonce pas à prendre pour point de départ la réalité la plus immédiate. Peut-être parce qu’explorer l’essence de la nature consiste à s’enquérir des sentiments intimes. Aussi, le scindement classique entre le géométrique et l’organique est-il aujourd’hui complètement dépassé.
Alberto Reguera développe, à partir du paysage, un style où les objets se dissipent et se transforment, par leurs formes et leurs couleurs, en sensations et en souvenirs. Dans son œuvre, l’abstraction est la manifestation de vérités occultes. Elle libère les formes pures d’un contenu superflu pour toucher les réalités essentielles.
C’est parce que les sentiments et les idées existent indépendamment du monde visible qu’Alberto Reguera se libère de l’expérience du quotidien. Gomme-t-il, pour autant, de son art toute narration, représentation, thématique, psychologie et spiri- tualité ? Certainement pas.
Il est vrai que le critique Clément Greenberg a proclamé « l’art pour l’art », mais notre artiste ne voit dans les innovations qu’un outil au service d’une infinité d’objectifs. L’abstraction organique suppose un point de départ pour explorer le monde. C’est pourquoi, dans l’œuvre d’Alberto Reguera, il n’y a pas de distinction entre la peinture et le sol, c’est-à-dire entre la superficie et l’objet.
Barbara Rose affirmait en 1965 que « face à l’impersonnalité vide, neutre et mécanique (…), les spectateurs restent glacés par l’apparent manque d’émotion ou de contenu ». Mais il ne fait aucun doute que notre artiste, Reguera, transmet bien vibration, agitation et créé une référence par rapport à la nature. Et ce n’est pas parce que l’artiste contemporain rechigne à abandonner le monde visible mais bien parce que, dans l’art d’aujourd’hui, nier la réalité n’a aucun sens. Aussi dit-on, peut-être pour cette raison, que l’abstraction actuelle se caractérise, entre autres, par son impureté.
Mais l’œuvre d’Alberto Reguera est-elle une peinture de référence ? Reguera ne renonce pas pour autant aux références classiques qu’une analyse personnalisée de chaque pièce permettra au spectateur de découvrir. La nature y est le principal lien avec la réalité. Peut-être est-ce pour cela que les titres de ses œuvres ne cherchent pas à traduire l’image figurative qu’ils accom- pagnent mais à ébaucher l’idée dont elles sont issues : « Rotating brush », « Shadows and luminosity », ou « Transparent darkness » en sont de bons exemples.
Pour nombre d’artistes, il ne peut y avoir abstraction, de nos jours, si elle ne s’accompagne de l’acceptation de son incapacité à appréhender une réalité profonde. L’œuvre d’Alberto Reguera regorge de lignes bien réelles, d’espaces bien réels, de couleurs bien réelles. Mais il est vrai qu’il rejette la beauté et l’expression personnelle comme objectifs artistiques. Reguera ne permet à aucun élément individuel de prendre le dessus.
Dans son œuvre, la forme se décompose et se transforme pour devenir une partie de l’espace et ne se matérialise qu’un court instant et de façon fragmentée. Il n’y a pas de distinction possible entre la peinture de la peinture-objet : c’est une seule même chose. De fait, il objectualise la peinture. Transformer la peinture à plat devient l’objectif du travail d’Alberto Reguera. Et il y parvient par des paysages abstraits, des fragments de nature. Son œuvre est décrite comme intimiste, comme un approfondissement du champ de la couleur, comme marquée par une extraordinaire vibration chromatique. Et avec tout cela, il crée des paysages qui changent avec les effets atmosphériques et sont en quête d’une profondeur visuelle.